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Article paru dans la revue Odyssée, FENAMEF - édition octobre 2019

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Mobiliser les ressources familiales dans les situations d’épuisement du proche aidant

 

Françoise Duchâteau Médiatrice Familiale et Formatrice – Gérontologue - Centre de la Famille et de la Médiation

 

 

Il est de coutume d’envisager la relation entre la personne âgée, malade ou handicapée et son proche aidant sous la forme binaire d’un aidé, la personne dépendante,

et d’un aidant, au service de la personne aidée. Il faut cependant reconnaître que la dépendance est vite réciproque : le proche peut, au grè de la multiplication des

appels de la personne aidée, se trouver pris dans des liens exclusifs. Il consacre son temps, sacrifie ses relations, son travail et ses plaisirs au service de son parent.

 

Pour que la dépendance ne se transforme pas en aliénation et que la relation d’aide ne devienne maltraitante, celle-ci est invitée à s’ouvrir à d’autres : 

parents, amis et professionnels qui sont autant de ressources à mobiliser dans les contextes de vulnérabilité d’un proche.

De nombreux services et lieux de répit existent aujourd’hui pour alléger la tâche des aidants mais ces derniers, par manque d’information ou

submergés par le poids de leur tâche n’y recourent pas comme attendu.

 

L’épuisement de l’aidant et de la relation d’aide se manifestent parfois par des conflits. Ces conflits peuvent concerner le proche aidant et son parent, son conjoint,

et plus souvent encore ses frères et sœurs. Les conflits peuvent aussi se manifester dans les relations entre le proche aidant et un professionnel à domicile (aide à domicile, infirmier, tuteur…)

ou en Institution (directeur d’E.H.P.A.D., de Foyer d’Accueil Médicalisé…). Dans ce dernier cas, il peut paraître surprenant de lier l’origine du conflit à l’épuisement du proche aidant ;

nous verrons plus loin que ce lien est pourtant pertinent.

 

Dans les situations conflictuelles, nous sommes sollicités, en tant que médiateurs, comme tiers extérieurs à la relation d’aide et à la famille, pour accompagner

les personnes en conflit dans la clarification de la situation conflictuelle, de l’origine des tensions, des enjeux de conflit et leur permettre de construire un accord à la hauteur de ces enjeux.

La demande qui nous est adressée est l’occasion pour l’aidant et l’aidé d’ouvrir leur relation à la présence de plusieurs tiers. Ces tiers sont le médiateur mais aussi les personnes

qui vont participer à la médiation : conjoint, enfants, frère et sœurs ou professionnels… La médiation est l’occasion pour les personnes prises dans les liens parfois étouffants

de la relation d’aide de reprendre un peu de distance par rapport à la situation et aussi l’une par rapport à l’autre.

 

La médiation est en même temps un lieu de mobilisation des ressources dont la personne vulnérable et son proche ont besoin. Ressources familiales d’abord, ressources professionnelles ensuite.

Dans la famille, la « désignation » du proche aidant se fait souvent de façon silencieuse, « naturelle » : la maman d’un enfant handicapé, la fille aînée habitant à proximité du parent âgé,…

Mais au bout d’un certain temps, parfois long, des tensions se font sentir signalant la fatigue de l’aidant : des sautes d’humeur, des décisions importantes prises sans concertation,

des paroles ou des gestes d’agressivité…

 

La réponse ne tarde pas : méfiance, jalousie, reproches… Les échanges au sein de la famille sont difficiles et les conflits surgissent à tout propos : gestion des comptes,

qualité des soins, mesures de protection, choix du lieu de résidence…

 

Quatre frères et sœurs apprennent par une convocation à l’audience du Juge des Tutelles qu’Isabelle, leur sœur aînée, a fait une demande pour avoir la tutelle de leur mère. Ils sont en colère.

Des échanges de mails très virulents s’ensuivent empreints de méfiance. Face à la mésentente familiale, le Juge leur propose une médiation familiale. Celle-ci permettra à Isabelle de dire

tout ce qu’elle a fait pour sa maman pendant de nombreuses années, son sentiment de solitude, son incompréhension face à l’emportement de la fratrie qui semblait s’intéresser si peu à

sa maman jusqu’alors. Elle a pourtant du mal à avouer sa fatigue d’aidante. Son attitude est ambivalente : elle voudrait garder le contrôle de l’aide à apporter à sa maman et en même temps

avoir plus de temps pour son conjoint et ses petits-enfants. La relation d’aide s’était organisée sans être parlée. Aujourd’hui, la médiation permet à Isabelle, à sa maman, mais aussi au reste

de la fratrie de dire ce qu’ils ont vécu et pensé : les manques de disponibilité, les inquiétudes, les regrets …. Un nouveau partage des rôles se fait au sein de la fratrie, un rapprochement de

certains de la maman âgée et une prise de distance de la sœur aînée qui au gré des entretiens et de la confiance retrouvée va accepter de partager sa place d’aidante.

La tutelle sera finalement confiée à la fille aînée et sa sœur.

 

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Les services de soins à domicile, EHPAD, F.A.M. …, rencontrent également des aidants avec lesquels les échanges sont difficiles. Ces derniers sont toujours insatisfaits,

dans le contrôle, omniprésents. Il semblerait qu’ils ne puissent se reposer sur les professionnels qui se proposent pourtant de prendre le relais. C’est que la démarche

de l’appel à un professionnel, ou du « placement » d’un proche : enfant, frère, sœur ou parent, est en elle-même un processus qui mobilise une énergie psychique très

conséquente : Il s’agit d’un processus de séparation, souvent imposé par l’état de santé du proche, processus qui devra trouver appui sur une relation de confiance avec

les professionnels. Les professionnels tout investis dans l’accueil ou l’accompagnement de la personne âgée ou handicapée, ignorent souvent combien la réussite de cet

accueil et de cet accompagnement est conditionnée par la qualité de l’accueil et de l’écoute du proche aidant lui-même. Si le processus de séparation et de passage de

relais ne se fait pas, le proche aidant utilisera toute son énergie à garder l’exclusivité du lien à son parent, jusqu’à l’épuisement.

 

Une directrice de Foyer d’Accueil Médicalisé nous appelle sur orientation de l’ARS, pour gérer une situation conflictuelle avec la maman de Jérôme, 23 ans, polyhandicapé,

entré il y a trois ans au Foyer. Comme médiatrice, appelée par la famille ou par un professionnel dans le cadre de la gestion d’un conflit, je vais considérer Jérôme dans l’ensemble

des liens qui l’unissent à ses proches : à sa famille et aux professionnels de l’aide et du soin.  Au moment où ses frères quittent le nid familial, ses parents se trouvent contraints

de mettre Jérôme en F.A.M. car les crises du jeune homme à la maison se multiplient et deviennent ingérables. Au bout de trois ans dans ce Foyer, force est de constater

l’insatisfaction de la maman et les conflits incessants avec la direction de l’établissement. Dans ce cas d’investissement maternel particulièrement protecteur depuis la naissance

de Jérôme, dans cette situation où la maman me dit sa culpabilité d’avoir mis au monde un fils avec un handicap, sa solitude « On ne peut rien se dire dans cette famille » et aussi

son épuisement, je propose une médiation familiale préalable à la médiation avec l’établissement. Mon hypothèse est que la famille a besoin de se parler de Jérôme et des

désaccords avec le Foyer, que la définition du problème sera nuancée et enrichie et permettra de formuler à l’établissement des demandes qui pourront être entendues et considérées.

La relation entre la maman et la directrice s’étant par ailleurs cristallisée autour du conflit, l’introduction de tiers, ici le conjoint et les enfants, peut ouvrir un nouveau champ relationnel et,

surtout, ce conflit peut être l’occasion pour le conjoint et les enfants de prendre une place dans l’accompagnement du jeune homme. Quand la maman de Jérôme a vu que ses deux

autres fils et son mari avaient accepté la médiation, elle m’a dit sa surprise : « C’est le plus beau jour de ma vie après celui de la naissance de mes enfants ; je ne savais pas qu’ils

s’intéressaient à Jérôme et qu’ils pourraient m’épauler ». Lors de l’entretien avec la directrice du foyer, tous étaient là. Les échanges en ont été facilités. La maman a accepté l’aide

proposée par ses enfants ; l’un des fils sera désormais le référent familial pour le Foyer.

 

Les conflits au sein de la famille ou avec les professionnels peuvent être l’occasion, de favoriser le travail de séparation nécessaire à toute relation d’aide de qualité, en mobilisant les ressources familiales disponibles.

 

Françoise DUCHÂTEAU – Centre de la Famille et de la Médiation - Lyon